

“William! », Elizabeth Strout, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon, Fayard, 260 pp., 21,50 €, numérique 15 €.
Quelqu’un peut avoir consacré sa vie à l’écriture. Soyez un écrivain reconnu. Utilisez les mots avec aisance. Recommandez à vos élèves que“aborder chaque page avec autorité”. Et, dans des situations ordinaires, ne sachant pas quoi dire, encore moins comment le dire. Lucy Barton en fait souvent l’expérience lorsqu’elle parle à William, son ex-mari. Ce qu’il lui confie suscite donc ce genre de réflexion : “Et j’ai pensé, ‘Oh, William. Mon Dieu, Guillaume. C’est ce que je pensais. » Une réaction étrange, qui à première vue ne ressemble pas à une leçon pour le lecteur du roman. Une courte phrase pauvre en sens explicites et riche en émotions contenues. Tendresse, excitation, compassion, désespoir, étonnement, étonnement, incompréhension… voilà une longue liste de mouvements d’âme qui traversent l’héroïneAh, Guillaume !
Pas besoin de lire Je m’appelle Lucy Barton et Tout est possible (Fayard, 2017 et 2018), où l’Américaine Elizabeth Strout, lauréate du prix Pulitzer en 2009, a déjà mis en scène son héroïne fétiche, pour que l’on puisse évaluer ce troisième tome sous forme de bilan. L’art délicatement décalé avec lequel ce romancier interroge le pouvoir et les limites de la parole, face au non-dit ou à l’indicible, éblouit et enchante. Aux carences du langage, l’ancienne fille pauvre et maltraitée, que les mots ont sauvée, oppose une confiance inébranlable dans le pouvoir de révélation de la littérature.
Car l’écrivain ne manque pas tant de mots lorsqu’elle évoque, avec son ex-mari, leur existence commune. Au lieu de cela, elle comprend, la certitude qu’elle n’a jamais eu accès à la vérité intime de celui dont elle a partagé la vie. L’évidence de leur relation lui parut sans voix. Si leur silence était éloquent, c’était dans leur manière de dissimuler l’irréductible mystère que chacun d’eux représentait pour son époux. Vous ne pouvez probablement jamais vraiment, pensa Lucy Barton, “comprendre les expériences que vivent les autres”. Mais ce qu’il ne peut formuler de son vivant, il peut toujours essayer de le nommer et de le percevoir par l’écriture.
Un secret de famille
Si Barton saute le pas ici, c’est aussi pour donner forme à l’étrange aventure qu’elle vient de vivre avec son ex-mari. En effet, lorsque William est abandonné par sa troisième épouse, c’est à Lucy qu’il demande de venir avec lui dans le Maine pour éclaircir le secret de famille. Qui d’autre qu’elle pourrait comprendre l’importance de cette recherche d’identité ? Mais le sens de ce voyage se dérobe peu à peu. William restera-t-il aussi inconnu à lui-même qu’à sa première femme ?
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